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Droit européen de la concurrence vs droit national : y a-t-il conflit ?
18 janvier 2024
Comprendre le droit européen de la concurrence
Le droit européen de la concurrence est constitué d'un ensemble de règles établies par l'Union européenne (UE) pour garantir des conditions de concurrence justes sur le marché unique européen. Ce cadre juridique est basé sur le traité de Lisbonne, plus précisément les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui interdisent les accords anticoncurrentiels.
Le premier pilier, l'article 101, empêche les entreprises de former des accords pouvant restreindre la concurrence. Cela comprend les ententes entre entreprises qui fixent les prix, divisent les marchés, limitent la production ou utilisent d'autres tactiques qui perturbent la libre concurrence.
Le deuxième pilier, l'article 102, interdit aux entreprises d'abuser de leur position dominante sur le marché. Cela peut inclure des tactiques telles que l'application de prix d'éviction, le refus de fournir des produits ou services à certains clients, ou l'imposition de conditions commerciales déloyales. L'objectif est d'empêcher les grandes entreprises d'exploiter les consommateurs.
Le droit européen de la concurrence s'applique également aux aides d'État. Les gouvernements nationaux ne peuvent pas donner de subventions à certaines entreprises nationales, si cela fausse la concurrence au sein de l'UE. Dans ce contexte, la Commission européenne joue un rôle crucial en faisant respecter ces règles.
Le droit européen de la concurrence ne vise pas à punir les grandes entreprises simplement parce qu'elles sont grandes. Au contraire, il vise à garantir que toutes les entreprises, grandes ou petites, peuvent concourir sur un pied d'égalité.
Le rôle du droit national dans la régulation de la concurrence
Le droit national joue un rôle essentiel dans la régulation de la concurrence. Il définit les règles qui régissent les transactions commerciales au sein des frontières d'un pays. Il peut s'agir de lois sur le droit des contrats, le droit des sociétés, le droit de la consommation. Ces lois visent à garantir un fonctionnement équitable du marché, à protéger les consommateurs et à promouvoir la concurrence.
Le droit français de la concurrence dispose également de règles sur le contrôle des concentrations, qui visent à empêcher la création ou le renforcement d'une position dominante pouvant entraver la concurrence. Les autorités nationales de la concurrence, comme l'Autorité de la concurrence en France, sont chargées de l'application de ces règles.
Cependant, le droit national ne peut pas être appliqué de manière isolée dans le contexte du marché unique européen. Dans la mesure où les activités économiques dépassent souvent les frontières nationales, le droit national doit être cohérent avec le droit européen de la concurrence. En effet, le droit de l'Union européenne a préséance sur le droit national en cas de conflit.
Néanmoins, le droit national peut compléter le droit européen de la concurrence.
Cas d'étude
Dans l'histoire de l'Union Européenne, le droit européen de la concurrence s'est parfois heurté au droit national des États membres, créant ainsi des conflits juridiques. Trois cas particulièrement significatifs peuvent être cités pour illustrer ce phénomène.
Premièrement, le cas de l'entreprise française EDF (Électricité de France) en 2003. La Commission européenne avait conclu que les avantages fiscaux accordés par le gouvernement français à EDF constituaient une aide d’État incompatible avec le droit de la concurrence de l'UE. Cependant, la France a contesté cette décision en affirmant que ces avantages étaient conformes à son droit national. Ce conflit a finalement été résolu par la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) qui a confirmé la position de la Commission européenne.
Puis le cas de la compagnie aérienne irlandaise Ryanair en 2004, qui avait bénéficié de réductions de tarifs et d'aides financières de la part de l'aéroport belge de Charleroi, ce qui a été considéré par la Commission européenne comme une violation du droit de la concurrence de l'UE. Ryanair et la Belgique ont contesté cette décision, arguant que ces aides étaient conformes au droit national belge. Cependant, la CJUE a confirmé la décision de la Commission européenne.
Le cas de l'entreprise Google en 2017 peut également être cité. La Commission européenne a infligé à Google une amende record de 2,42 milliards d'euros pour abus de position dominante, en violation du droit de la concurrence de l'UE. Google a contesté cette décision, arguant qu'elle était conforme au droit national américain. Toutefois, la CJUE a confirmé la décision de la Commission européenne, soulignant ainsi la primauté du droit de la concurrence de l'UE sur le droit national.
Ces cas d'étude démontrent que, bien que le droit national puisse parfois entrer en conflit avec le droit européen de la concurrence, la CJUE tend à confirmer la primauté du droit de l'UE. Cela souligne l'importance pour les entreprises opérant dans l'UE de se conformer non seulement au droit national, mais aussi au droit de la concurrence de l'UE.
Comment les conflits entre droits européen et national sont-ils résolus ?
La résolution des conflits entre le droit européen de la concurrence et le droit national est un processus complexe, mais plusieurs mécanismes sont en place pour faciliter cette résolution. L'un des principaux acteurs est la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), chargée de veiller à l'interprétation du droit de l'UE dans tous les États membres. En cas de conflit entre le droit national et le droit européen de la concurrence, la CJUE peut être saisie pour trancher.
L'un des principes clés qui guident la résolution de ces conflits est le principe de primauté du droit de l'UE, solon lequel, en cas de conflit entre le droit national et le droit de l'UE, ce dernier qui prévaut. Les tribunaux nationaux sont donc tenus d'appliquer le droit de l'UE plutôt que le droit national si les deux entrent en conflit. Ce principe a été établi par la CJUE dans l'arrêt Costa contre ENEL en 1964 et a été réaffirmé à plusieurs reprises depuis lors.
Un autre mécanisme de résolution des conflits est le dialogue judiciaire entre la CJUE et les juridictions nationales. Cela se fait principalement par le biais du renvoi préjudiciel, mécanisme par lequel les juridictions nationales peuvent poser des questions à la CJUE sur la validité du droit de l'UE. Cela permet de résoudre les conflits potentiels avec le droit national de manière cohérente.
Enfin, il est à noter que la Commission européenne joue un rôle crucial dans la résolution des conflits entre le droit de l'UE et les droits nationaux en matière de concurrence. La Commission a le pouvoir de prendre des décisions contraignantes en matière de concurrence et peut imposer des sanctions aux entreprises qui enfreignent les règles de concurrence de l'UE. De plus, elle peut engager des procédures d'infraction contre les États membres qui ne respectent pas leurs obligations en matière de droit de l'UE.
Vers une harmonisation du droit de la concurrence ?
Le paysage juridique européen est en constante évolution, et le droit de la concurrence ne fait pas exception. En effet, il est possible que nous nous dirigions vers une harmonisation du droit de la concurrence, non seulement pour éliminer les conflits potentiels entre le droit européen et le droit national, mais aussi pour renforcer l'efficacité du marché unique européen.
L'idée n'est pas nouvelle. Elle a été discutée à plusieurs reprises par différents acteurs européens, y compris la Commission européenne. L'objectif est de créer un cadre juridique cohérent et uniforme qui serait applicable dans tous les États membres de l'UE. Cela faciliterait le commerce et la concurrence entre les entreprises européennes, tout en assurant une protection équitable des consommateurs.
Cependant, l'harmonisation du droit de la concurrence pose plusieurs défis. Tout d'abord, il y a une grande diversité de systèmes juridiques et de traditions juridiques parmi les États membres de l'UE. Par conséquent, l'harmonisation nécessiterait un effort considérable de coordination et de compromis. De plus, il y a aussi des différences importantes dans le niveau de développement économique et la structure des marchés entre les différents États membres. Ces facteurs doivent être pris en compte lors de l'élaboration d'un cadre juridique harmonisé.
Néanmoins, l'harmonisation du droit de la concurrence est une perspective qui mérite d'être sérieusement considérée. Elle pourrait renforcer l'intégration économique européenne et améliorer le fonctionnement du marché unique. De plus, elle pourrait également contribuer à éviter les conflits entre le droit européen et le droit national, ce qui profiterait à la fois aux entreprises et aux consommateurs.
L'harmonisation future du droit de la concurrence est une possibilité qui pourrait apporter de nombreux avantages. Cependant, elle nécessite une approche prudente et bien réfléchie, en prenant en compte les particularités et les besoins de chaque État membre. Il est donc essentiel de poursuivre le dialogue et la consultation entre les différents acteurs européens à ce sujet. Ainsi, nous pouvons espérer un avenir où le droit européen de la concurrence et le droit national coexistent harmonieusement, au bénéfice de tous.
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